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Ce ce que j'en sais...ou pas
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Ce ce que j'en sais...ou pas
24 mai 2009

Qui est responsable ?

« Plus difficile est de faire porter la responsabilité morale de la guerre aux victimes. Une entreprise presque sans espoir, un peu comme si les nazis avaient essayé de rendre les juifs responsables — des fours crématoires. Mais, intrépides, les propagandistes américains se sont attaqués à ce problème, non sans succès. » Noam Chomsky, in La restructuration idéologique aux Etats-Unis, Le monde Diplomatique, mars 1979 ; réédité in Manière de voir n°104, La Guerre des idées, Avril-mai 2009.

Qui ou Quoi est responsable de l’état du monde ?

Cette question est en fin de compte au centre de la politique, du vivre ensemble. Différentes réponses peuvent être données et plus ou moins argumentées. En voici une liste non exhaustive et spécialement sélectionnée, bon gré mal gré, pour justifier l’argument développé dans ce commentaire - à savoir qu’aujourd’hui, et pour ce que j’en sais, les responsables désignés sont ceux dont le pouvoir sur le système est le plus faible. « Selon que vous soyez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. » (Lafontaine, Les animaux malade de la peste)

 

 Il existe une volonté unique, consciente ou non, qui traverse et ordonne l’histoire du monde des hommes. Dieu dans ce qu’il a de plus totalitaire fait partie de cette réponse mais celles des évolutionnistes, au nom d’un sens de l’histoire, aussi. L’individu peut alors choisir entre suivre les lois dictées par cette volonté méta-humaine ou se condamner, et avec lui l’humanité tout entière, à une vie misérable. Le bonheur et la justice – souvent écrit avec des majuscules dans ce système de pensée – passe par l’obéissance ; le fatalisme est une vertu. Voilà pour la théorie, dans la pratique il est toujours amusant de regarder d’où parle celui qui énonce ces lois.

 

 Le hasard peut également être vu comme l’architecte du monde. Ici pas de volonté méta-humaine mais une absence totale de volonté de la part de qui que ce soit. Il n’y a rien à comprendre - ou du moins il n’y a rien que nous pouvons comprendre - il n’y a aucune conclusion à tirer du passé, il n’y a aucune prescription à faire pour l’avenir, tout au plu peut-on contempler en détail ce qui se passe. L’individu peut bien faire ce qu’il veut et ce qu’il peut, ça n’a aucune conséquence - aucune conséquence intelligible par l’homme. L’individu peut bien pour se rassurer, pour se donner bonne conscience, croire qu’en faisant ce qui est le mieux pour lui, il contribue au bien-être de tous

 

 La main invisible du marché oscille, selon les circonstances, entre ces deux extrêmes – m’est-il permit de dire comme toutes les idéologies, tous les paradigmes qui ont su s’imposer à une culture. Il est par conséquent plus utile de regarder les relations plutôt que les objets qui y participent. Cette main invisible est tour à tour volonté méta-humaine, lorsqu’elle est donnée comme naturelle, et fruit d’un merveilleux hasard quand elle est la conséquence fortuite des actes d’individu rationnel oeuvrant égoïstement à leurs bonheurs personnels.

 

 Par chance ou par nécessité, entre ces deux extrêmes s’étend un champ de réponses possibles où l’individu est plus ou moins responsable de tout ce qui est, où la fatalité guide plus ou moins la construction du monde. La classification des faits, plus ou moins consciente, que l’on opère selon ces deux catégories détermine l’opinion que l’on a sur la conduite des individus et ce faisant notre propre conduite en tant qu’individu. En ce qui me concerne, la réponse la plus valeureuse consiste à penser que le monde est la somme des individus et de toutes les relations qu’ils entretenaient, entretiennent, veulent entretenir ou au contraire avorter, entre eux. L’individu comme acteur du monde se sent responsable tout en sachant que la multitude des relations qui se font et se défont à chaque instant ne lui permet pas de saisir l’ensemble du système de réseau qu’il intègre. Il peut néanmoins identifier l’élasticité et le sens des relations qu’il entretient avec son environnement et les assumer, les clamer même.

 

 Cependant d’autres considèrent que l’individu est le seul responsable de ce qui lui arrive sans importer ce qui l’entoure. Cette théorie est la plus répétés mais je ne dirais pas la plus répandue. Je veux dire par là que si vous posez la question : Pourquoi arrive-t-il ceci à Untel ? Nous répondrons que c’est de sa faute ou on vous le fera comprendre. Mais si vous demandez : Pourquoi vous arrive-t-il cela ? Nous répondrons que c’est la faute à Untel, à ceci ou à cela. Pour ce que j’en sais, de nos jours, c’est le paradoxe le plus répandu dans l’esprit humain : l’Autre est responsable de ses malheurs et des miens. Le jeu de la vie consiste alors à savoir à quel Je nous appartenons, à quel groupe je m’identifie. Cette identification faite je dois définir pour moi et pour le groupe mes malheurs et quo en est responsable. Ce Je collectif n’est évidemment responsable que de ses réussites et de celle du monde. Bien sûr à l’intérieur de la communauté certains définissent plus que les autres les malheurs qui m’accablent. Quand la lutte des classes était à la mode, l’Etat était dans sa conception l’outil et dans sa réalisation l’allié de la classe bourgeoise capitaliste. Tous deux sont les responsables du malheur des travailleurs – du moins du travailleur qui n’est pas coopté par l’Etat ou le capitaliste. Les malheurs du capitaliste sont dus à l’Etat poussé, voire pris en otage, par les travailleurs.

 

 Mais la lutte des classes n’est – n’était ? – plus à la mode. Le travailleur a – avait ?- plus à perdre qu’à gagner dans la confrontation. Mes informateurs me donne même l’impression qu’il est de plus en plus difficile de se définir comme travailleur ou comme capitaliste, c'est-à-dire détenteur d’un capital – maison, action, épargne, voiture – que l’on souhaite défendre à défaut d’agrandir. La répartition et la structure du travail et du capital ont évolué, du moins les discours publics normatifs sur celles-ci ont évolué. Tandis que l’on passe du travailleur au consommateur, nous passons d’une définition de l’identité par sa place dans le système productif – unis culturellement mais séparés économiquement- à une définition de l’identité selon sa culture – unis dans le système productif, tous consommateurs et donc tous capitalistes plus ou moins performant, mais séparés par notre culture, trop souvent résumé à nos goûts. Tandis qu’auparavant le capital symbolisait sa place dans le système productif, il symbolise maintenant notre place dans le système socioculturel. Ce déplacement n’est pas anodin dans l’évolution des gauches dans les pays les plus développés. Mais voilà que la question du statut économique a refait surface sous la forme des travailleurs sans outils – ou sans poste ? – au même titre qu’ils existent des paysans sans terres. Voilà des consommateurs qui ne peuvent plus consommer. Qui sont-ils ? Mais surtout qui sont-ils par rapport à moi ? Ils sont nés dans la même clinique que moi, ils ont fait les mêmes études, ont travaillé à côté de moi et ont même possédé un capital identique au mien… Du moins en théorie, du moins c’est ce qu’on m’a dit, du moins c’est ce que nous nous disons. Mais eux n’ont pas d’outils à leur disposition. Eux, ne travaillent pas, ou si peu !

 

 Pourtant ce grand groupe est d’abord constitué de plusieurs groupes – jeunes, immigrés, etc. – et tous ces groupes étaient il y a peu perçus comme des victimes. Et comme par magie – ou peut-être par propagande – les voilà coupables. Coupables d’être marginaux et coupable faire de mon malheur. Les immigrés et leurs enfants ne sont plus les victimes d’une colonisation violente mais les responsables de la dégradation de la vie nationale. Les chômeurs ne sont pas les victimes d’une politique économique au mieux inefficace mais les responsables de la dégradation du système économique. A contrario, les hommes politiques, les détenteurs de capital, les décideurs de tous poils ne sont pas responsables des dégâts provoqués par leur gestion du pouvoir – sous-entendu du pouvoir qu’ils disposent sur les autres – mais victimes de la conjoncture. L’histoire que nous nous racontons ne dit pas qui est responsable de la conjoncture, à moins que ce ne soient ces individus peu courageux, ingrats, à qui nous donnons déjà ce que nous pouvons donner et qui en échange de son intégration dans le système, dans la communauté, ne sont bons qu’à le critiquer, voire à le gripper. Des gens qui non pas la culture du travail et qui ne méritent donc pas de consommer.

 

 Je me demande toujours à quels groupes pense appartenir l’individu qui me parle de ses problèmes. Quand je nomme un responsable, je me demande ensuite quels groupes en moi ont parlés.

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